L'« amendement Wikipédia »

Publié par Hamelin de Guettelet le samedi 26 novembre 2011

J'ai un peu l'impression d'avoir anticipé le problème dès le 10 octobre (voir mon message sur la licence Wikimedia Commons du 10 octobre 2011).
© Eugenevs - galerie Panoramio (pour la photo) - Ieoh Ming Pei (pour la pyramide)
Actuellement de Bistro de Wikipédia bruit de discussions diverses et variées, comme à son habitude, mais ce qui a retenu mon attention, c'est tous ces pseudos, ombres de citoyens, qui voudraient intervenir dans l'arène politique ; des précédents italiens auraient-ils laissé des traces ?

Ne voila pas qu'à l'occasion d'un projet de loi tendant à modifier le « code de la propriété intellectuelle » au sujet de la rémunération pour copie privée qu'apparait, comme cela, on ne sait d'où, sans étude, sans discussion préalable, sans véritable justification, un amendement, pas très éloigné du « cavalier législatif » communément retoqué par le Conseil constitutionnel, un amendement donc, de deux parlementaires, Lionel Tardy, député « Union pour un Mouvement Populaire » de la 2e circonscription de Haute-Savoie, et, Jean Dionis du Séjour, député « Nouveau Centre » de la 1e circonscription du Lot-et-Garonne, en vue de compléter l’article L. 122-4 du « code de la propriété intellectuelle » par un nouvel alinéa : « Toutefois est autorisée la reproduction par la peinture, le dessin, la photographie ou le cinéma des œuvres de toute nature situées de manière permanente dans l'espace public, y compris à l’intérieur des bâtiments ouverts au public, ainsi que la distribution et la communication publique de telles copies. » Ce qui traduit en bon français courant veut dire « donner la liberté de panorama ».

Pourquoi donner cette liberté ? Parce que la Wikipédia française ne peut pas illustrer ses article sur l'art moderne ?

Évidemment non. Parce que la législation de certains pays européens, mais pas qu’européens, permet cette liberté d'illustration ? Cela serait bien trop court. Tout simplement parce qu'avec le combat de Beaumarchais contre la Comédie française qui ne versait pas aux auteurs le 1/9e des recettes qu'elle leur devait ou parce que Balzac pensait que la loi protégeait la terre mais confisquait l'ouvrage du poète ou encore parce que Victor Hugo est à l'origine de la convention de Berne qui depuis 1886 protège les œuvres littéraires et artistiques. Et qu'en accord avec cette convention la législation française stipule en son « code de la propriété intellectuelle » en sa première partie : La propriété littéraire et artistique, le Livre Ier : Le droit d'auteur, le Titre II : Droits des auteurs et le Chapitre II : Droits patrimoniaux, son article L. 122-4 dispose : « Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque. » Le texte est simple, clair et précis ; cela implique que toute reproduction d'une œuvre est interdite parce que l'auteur, ou ses ayants droit ou ayants cause, a des droits sur son œuvre. Il existe quelques exceptions à cette interdiction générale énoncées dans l'article suivant le L. 122-5 ou instituées par la jurisprudence avec la notion « de minimis non curat praetor », quand l’œuvre est l’accessoire et non le principal, il n'est pas utile de porter jugement.

Alors des esprits libres et/ou supérieurs, les mêmes qui sont prêts à exclure un contributeur qui ferait le moindre copyvio (violation de copyright), qui ne respecterait pas le droit d'auteur, ces mêmes beaux esprits trouvent tout à fait normal de pouvoir reproduire photographiquement des œuvres plastiques ou architecturales sans le consentement de leurs auteurs, sans compensation financière, en leur faisant les poches en quelques sorte. Heureusement qu'il est quelques législateurs, qui à des heures indues de la nuit, ont encore suffisamment de lucidité pour estimer que cet amendement n'est pas aussi neutre que certains aiment à le présenter. Ce qui m'a mis en joie, c'est les tartarinades habituelles de certains contributeurs bistrotiers qui voudraient se prendre pour des voix autorisées à défaut d'être des voix influentes ; « écrivez à votre député ... », « rappelez-vous de la position de votre député lors des prochaines élections législatives ... », et puis quoi encore ! La liberté de panorama est évidemment plus importante que le montant de la dette ou que le déficit de notre balance commerciale. La liberté de panorama serait évidemment un bon critère de choix de nos législateurs ... enfin pour ces Tartarins. Wikipédia a cela de navrant que sa trop proche fréquentation rend des contributeurs « addicts » en dehors des réalités de la vraie vie, ils ont perdu le sens communs.

Qu'adviendra-t-il du droit que l'auteur a de pouvoir commercialiser ses droits à reproductions commerciales de ses œuvres à partir du moment où une photographie de bonne qualité sera chargé dans la base de données de Wikimedia Commons ? Nous lui aurons tout simplement volé ce droit. Tant que la licence utilisée par Wikimedia Commons permettra une utilisation commerciale sans restriction, privant ainsi tout auteur de ses droits à reproductions commerciales, je souhaite qu'il y ait toujours 23 législateurs sur 30 qui s'opposent à l'« amendement Wikipédia ». N'en déplaise à ces biens pensants qui, je suppose, doivent trouver tout à fait normal de télécharger illégalement de la musique au lieu d'acheter le droit de l'écouter.

Qu'ils tuent la création artistique sans moi. Ainsi va mal Wikipédia.