Et bien chat alors !

Publié par Hamelin de Guettelet le mardi 26 juin 2012

Étienne Klein, avec quelques autres comme Hubert Reeves, sait parler de ces choses compliquées que sont les sciences, la physique et son mode d'expression les mathématiques. Se poser des questions sur l'origine ... l'origine du temps, de la matière, de la vie, doit conduire inéluctablement à se poser des questions métaphysiques. Toujours est-il que Klein est un penseur efficace passé de la science à la philosophie des sciences. En cherchant sur le net des conférences de Klein, je suis tombé sur une petite vidéo de 1 mn 12 dans laquelle Étienne Klein fait un numéro comique en expliquant le paradoxe du chat beurré devant un public hilare qui ne doit pas comprendre grand chose mais qui rit de bon cœur puisqu'il est venu pour cela.



En cherchant quelques informations complémentaires sur ce fameux chat beurré, Google-mon-ami me donne quelques autres vidéos et l'improbable article de Wikipédia. Voilà une fois de plus la grande supériorité de cette encyclopédie, même ce paradoxe fumeux à son article sur Wikipédia.

Oui mais voilà, il n'y a pas que cet article anecdotique et c'est là que les choses se compliquent.

Laissant de coté cet article qui ne m'apprend rien de plus sur ce paradoxe, oubliant la loi de Murphy que je vérifie régulièrement, je décide donc de suivre le lien « un chat retombe toujours sur ses pattes » pour arrivé sur l'article réflexe de redressement du chat. Encore une de ces merveilleuses découvertes de lecture wikipédienne mais si les chats retombent toujours (ou presque toujours) sur leurs pattes, ce n'est pas le cas de Wikipédia.

À première vue, l'article présente bien, plusieurs sections, des illustrations et du matériel de référencement. D'abord, c'est une jolie animation en gif qui voudrait m'expliquer par une somme de vecteurs le réflexe en question. J'ai beau cliquer sur l'illustration, le fichier Commons ne m'en apprendra pas plus sur les sources de cette théorie illustrée, juste un travail personnel sans source, ça commence mal, du pur TI - travail inédit. Après avoir appris dans l'introduction que la queue du chat n'avait aucun rôle dans cet exploit, sic ! Je passe donc rapidement à l'explication technique, c'est le moment d'apprendre que c'est grâce à la vue OU au système vestibulaire que le chat se situe dans l'espace. Moi qui croyais bêtement que c'était grâce à la vue ET au système vestibulaire que les gymnases et autres acrobates réussissaient leurs figures aériennes. Heureusement que Wikipédia est là pour « m'enduire d'erreur ». En fait, grâce à son système vestibulaire et à sa vue, le chat tourne sa tête pour la remettre dans une position habituelle. La forme arquée de son corps (position naturelle dans le cas d'un saut et consécutivement d'une chute) et le couple engagé par la rotation de la tête entraine d'abord la rotation du tronc du chat, puis du train arrière jusqu'à la queue, s'il en a une, suivant le principe de conservation du moment angulaire. Enfin, la plus ou moins grande extension des pattes accélère ou freine la rotation.

Bon passons, mais en fait pas très loin car je bloque sur la phrase suivante « Ses vibrisses lui permettent de déterminer la distance qui le sépare du sol ». Fabuleux, génial, mieux que la chauve-souris, les magnifiques moustaches du chat ne se contente pas d'être déjà un organe sensoriel particulièrement sensible au mouvement de l'air, c'est en plus un super détecteur radar qui lui permet de calculer sa distance au sol. Pour mieux me convaincre la phrase est suivi d'une source. Ô bonheur, je vais apprendre quelque chose d'incroyable « Les chats et les chutes », sans doute une étude scientifique ... et bien non, c'est raté, une phrase sans référence sur un site bidon d'amateurs de chats. Me voilà bien avancé.

L'article est une traduction faite par Pixeltoo et Skull33 d'un article anglophone, allons voir s'il n'y aurait pas de meilleures sources. Et bien non, encore raté, cette magnifique phrase n'est pas dans le texte anglais. Peut être dans la version traduite du 18 septembre 2010, toujours pas. Nous continuons dans le n'importe quoi, merci Skull33, de cette information bidon. Cela me permet aussi de constater, qu'en passant de l'anglais au français, les degrés centigrade des angles de rotation du corps du chat se sont mués en pourcentages, pourquoi pas, nous ne sommes plus à cela prés ?

Reste enfin les conséquences de ces chutes, passons sur les problèmes de poids des corps ou de vitesse de chute, il suffit d'écouter, une fois encore Étienne Klein au tableau ! dans des prestations enregistrées pour universcience.tv pour avoir des explications plus précises que celles de la section Vitesse qui interprètent les sources pour leurs faire dire ce qu'elles ne disent pas :
  • les chats atterrissent sur leurs pattes et non sur le corps étendu, d'où les fractures généralisées aux pattes accompagnées de blessures à la cage thoracique et au crane suivant les hauteurs de chutes ;
  • quant au chat-parachute, il s'agit plus du rapport masse/frottement que d'une disposition qu'ont certains animaux à profiter d'une morphologie spécifique pour planer.
Encore du grand n'importe quoi. Les rédacteurs anglophones et le/les traducteurs français font dans l'approximation.

Heureusement la section Blessure (au singulier, sic !) à l'air d'une toute autre tenu enfin une source de poids, pourrais-je dire. Une étude américaine sérieuse, datée de 1987, publiée dans le Journal of the American Veterinary Medical Association avec pour source le site The Straight Dope où un certain Cecil Adams répond aux questions qu'on veut bien lui poser ... et il répond à toutes parce que « Cecil Adams is the world's most intelligent human being. We know this because: (1) he knows everything, and (2) he is never wrong » (Cecil Adams est l'humain le plus intelligent au monde. Nous le savons parce que : (1) il sait tout, et (2) il ne se trompe jamais), nous voilà rassuré. Sauf que ... cette étude n'a pas pour origine l'association des vétérinaires américains. Une recherche faite à partir du graphique des blessures, nous apprend que cette étude est une simple constatation statistiques faites par les vétérinaires du Animal Medical Center, du Veterinary Hospital de New York, et publié par Jared M. Diamond, Professor of Physiology dans le célèbre magazine Nature sous le titre Why cats have nine lives (Pourquoi les chats ont neuf vies) et qu'au passage SKull33 a pompé, sans citation de ses sources, le graphique de Nature. Nous voilà rassuré, en dessous de deux étages, c'est une partie de plaisir pour les chats qui sautent sans élastique, entre deux et sept/huit étages, c'est pas sans risque pour les chats new-yorkais, au dessus de huit étage, c'est l'extase miraculeux, comme pour un certain chat Lucky (nom prédestiné) qui ne s'est cassé qu'une canine en tombant d'un trente-deuxième étage.

Oui mais voilà, aucune des précautions méthodologiques de Nature n'est reprises dans l'article de Wikipédia, sinon qu'une vague discussion sur Internet et cela entraine un biais d'interprétation. Les pourcentages de survie et des blessures, ne sont pas faits sur un échantillon représentatif, mais sur les seuls chats apportés pour soins à l'hôpital vétérinaire. Tous les chats tombés des buildings new-yorkais et se tuant à l'atterrissage ou dans un état tel que toute survie est jugée impossible ne rentrent pas dans ces statistiques car non portés devant un vétérinaire. Dommage pour eux, mais la courbe n'est donc pas représentative, en fait elle doit, dans la réalité, continuer sont développement exponentiel, et il en est des chats comme des humains : plus on chute de haut, plus on se tue même si on retombe sur ses pattes, même si on a neuf vies.

Pour terminer ce message, il y a en fait deux bonnes sources, éventuellement trois, citées dans l'article anglophone et repris dans l'article francophone mais manifestement pas ou mal exploitées dans l'article car difficilement accessibles au profit de blogs ou de sites bidons plus facilement accessibles :
  • Thomas Kane, M. P. Scher (1969) « A dynamical explanation of the falling cat phenomenon » (Une explication dynamique au phénomène du chat qui tombe) in International Journal of Solids and Structures, vol. 5, n°7, p. 663–670.
  • Jared M. Diamond (14/04/1988) « Why cats have nine lives » (Pourquoi les chats ont neuf vies) in Nature, vol. 332, n°6165, p. 586–587.
  • Fink Hardy (1997) « An Insight Into the Biomechanics of Twisting » (Un aperçu de la biomécanique des torsions) in Association of British Gymnastics Coaches Newsletter, vol. 17, n°2, p. 1-6.

Hélas, ainsi va mal Wikipédia quand on traduit ou écrit un article sans rien connaître du sujet.