DCRI (1) Affaire d'état, la DCRI censure Wikipédia

Publié par Hamelin de Guettelet le samedi 6 avril 2013,
article amendé le lundi 8 avril
(cf. mon message du 8 avril 2013)
mise à jour le mardi 9 avril date de diffusion du reportage de TL7

Pour supprimer une/des informations sensibles et classifiées d'un article de Wikipédia la DCRI - Direction centrale du renseignement intérieur - utilise le pire moyen qu'il soit pour garantir la discrétion. Cela déclenche un grand déballage sur le Bistro de Wikipédia et le buzz Streisand sur Internet. Je vais me joindre à la cacophonie en me prenant pour un « Saint-Just » au matin du 5 thermidor, ni saint ni juste mais juste suffisamment lucide pour participer au buzz à la mode Streisand.

Rappel en quatre actes d'une histoire banale mais qui ne va pas le rester longtemps :

Premier acte
  • en février 2005, (date confirmée par TL7 par mail le 9/4/2013 à 07:53) la chaîne privée de télévision généraliste locale TL7 diffuse un reportage de 25:10 minutes sur la base militaire de Chalmazel avec une visite complète de la station hertzienne de Pierre-sur-Haute, reportage réalisé avec l'autorisation des autorités militaires. Le reportage de TL7 est largement antérieur à la création de l'article. Le directeur de la chaîne s'attend à une demande de la DCRI leur commandant de retirer leur reportage en accès libre sur leur site ;
  • le 24 juillet 2009, un contributeur Qvsqvs, avec un compte créé spécialement pour initier uniquement l'article Station hertzienne militaire de Pierre-sur-Haute en trois contributions ;
  • le 14 octobre 2009, un contributeur Nicoliv(38), avec un compte créé spécialement pour contribuer uniquement sur l'article Station hertzienne militaire de Pierre-sur-Haute le complète en deux contributions ;
Deuxième acte
  • le 4 mars 2013, la DCRI née de la fusion de la DST - Direction de la surveillance du territoire - et des RG - Direction centrale des renseignements généraux - demande à la WMF - Wikimedia Foundation - le retrait de l'article Station hertzienne militaire de Pierre-sur-Haute à la raison de publication de renseignements militaires classifiés, cette publication constituant une violation de l'article 413-10 du Code pénal français ;
  • à une date non précisée, WMF demande des précisions à la DCRI avant toute suppression. Devant l'absence de précisions WMF rejette la demande de la DCRI. Il est évident que la DCRI ne peut donner plus de précision sans elle-même révéler les informations classifiées ;
Troisième acte
  • le 4 avril, suite au refus de la WMF, la DCRI, convoque le président de la Wikimédia France, Remi Mathis, pour lui intimer l'ordre de supprimer la page litigieuse. Suivant les informations confirmées par le ministère de l'Intérieur « à la demande du parquet, sous le contrôle de l'autorité judiciaire » cette personne, après un refus initial de retirer l'article, « a été mise en garde contre le risque d'engagement de poursuites judiciaires » dont elle pourrait être l'objet « en tant que responsable juridique de Wikipedia France ». Et Wikimédia France de préciser que le « bénévole a été contraint de supprimer devant les agents l’article incriminé, sous peine d’être placé sur le champ en garde à vue et mis en examen, et ce en dépit de ses explications sur le fonctionnement de Wikipédia. » ;
  • le 4 avril à 11:11, Remi M (Remi Mathis), informe les autres administrateurs sur le BA - bulletin des administrateurs - les mettant en garde contre les risques d'une restauration en application de l'article 413-11 du Code pénal ;
  • le 5 avril à 09:16, l'administratrice suisse Inisheer restaure l'article. Des contributeurs s'appliquent à conformer l'article aux règles de Wikipédia, principalement celle nécessitant un sourçage des informations ;
  • le 5 avril à 01:06, Michelle Paulson, conseillère juridique de WMF, donne un avis sur le BA ;
Quatrième acte
  • le 5 avril à 17:43, Kirtap, opposant déclaré à la Wikimédia France et à son président, lance l'affaire sur le Bistro ;
  • le 6 avril à 03:02, la WMF, publie un communiqué officiel sur le site Wikimédia ;
  • le 6 avril à 14:46, La Wikipédia anglophone crée l'article Military radio station of Pierre-sur-Haute en y incluant la demande de suppression de la DCRI, aussitôt suivie par une vingtaine d'autres versions linguistique de Wikipédia, dispersant ainsi de par le monde des informations possiblement classifiées ;
  • le 6 avril à ??:??, Wikimédia France publie un communiqué officiel sur son blog ;
  • le 6 avril, l'effet Streisand commence, l'article est consulté 9 423 fois ce 6 mars, contre zéro précédemment (589 fois le 5 mars). Une dépêche de l'AFP - Agence France presse - La DCRI accusée d'avoir fait supprimer un article sur Wikipedia est reprise sur les sites internet de divers organes de presse, en France et à l'étranger. D'autres blogs reprennent cet information (cf. colonne de droite de ce blog-notes dans Ma planète-Wikimédia)
Avant de donner mon analyse, je fais quelques remarques liminaires :
  • le créateur de l'article Qvsqvs et celui qui le complète Nicoliv(38) ont créé leur compte uniquement pour contribuer à l'article Station hertzienne militaire de Pierre-sur-Haute ;
  • Qvsqvs et Nicoliv(38) ne donnent aucune source à l'appui de leurs créations, ils ne sont certainement pas des contributeurs lambda car ils connaissent apparemment bien leur sujet puisque les informations les plus importantes, dont certaines seraient sensibles, seront globalement toutes sourcées grâce au reportage de TL7 ;
  • Qvsqvs et Nicoliv(38) ne sont certainement pas non plus un ou des contributeurs habituels très au fait de Wikipédia et de ses techniques de contribution (ou alors les erreurs et oublis seraient intentionnels ? !) ;
  • la DCRI ne réagit qu'une quarantaine de mois après la création de l'article sans qu'entre temps une information n'ai été rajoutée à l'article autre que des détails de mise en forme de l'article, ce qui laisse supposer que la ou les informations litigieuses existent dans l'article dès l'origine en 2009 ;
  • la DCRI ne vise pas un sujet sensible mais bien un contenu précis de l'article puisqu'elle ne fait aucune demande pour d'autres articles tout aussi sensibles ;
  • personne ne me fera croire que la DCRI ne soit pas parfaitement au fait de l'organisation et du fonctionnement de Wikipédia, ses démarches laissent justement penser le contraire :
    • Sa première démarche est normalement faite auprès de WMF, l'hébergeur américain de wikipédia, seul responsable et seul capable de supprimer légalement l'article problématique,
    • la deuxième action, plus litigieuse, est faite auprès d'un administrateur, qui à donc le pouvoir de supprimer un article, pas n'importe quel administrateur, ce n'est certainement pas un hasard si la DCRI choisit un administrateur par ailleurs aussi président de Wikimédia France.
Il ne faut donc pas prendre des vessies pour des enfants du bon dieu ou confondre les poulets sauvages avec des lanternes au risque de se brûler les mains ou les ailes, je ne sais plus très bien.

J'ai pourtant quelques difficultés à comprendre la démarche de la DCRI, si cette demande de retrait « a été faite dans le cadre d'une enquête préliminaire de la section antiterroriste du parquet » car l'article comprenait « des éléments classifiés relatifs à la chaîne de transmission d'ordre de mise à feu nucléaire », comment la DCRI en arrive à faire supprimer sous la contrainte l'article contenant les informations classifiées ? Si l'hébergeur, WMF, est responsable en vertu de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, si la publication d'informations classifiées, réalisée par le détenteur de ces informations, éventuellement Qvsqvs et Nicoliv(38), tombe sous le coup de l'article 413-10 du Code pénal, la DCRI place Remi Mathis sous le coup de l'article 413-11 du Code pénal qui vise en fait une forme de complicité des personnes visés à l'article 413-10, par le simple fait de prendre connaissance des informations classifiées. Voyons cet article :
Est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende le fait, par toute personne non visée à l'article 413-10 de :
  1. S'assurer la possession, accéder à, ou prendre connaissance d'un procédé, objet, document, information, réseau informatique, donnée informatisée ou fichier qui présente le caractère d'un secret de la défense nationale> ;
  2. Détruire, soustraire ou reproduire, de quelque manière que ce soit, un tel procédé, objet, document, information, réseau informatique, donnée informatisée ou fichier ;
  3. Porter à la connaissance du public ou d'une personne non qualifiée un tel procédé, objet, document, information, réseau informatique, donnée informatisée ou fichier.
« Est puni [...] le fait, par toute personne de [...] prendre connaissance (alinéa 1), [...] reproduire (alinéa 2), [...] porter à la connaissance du public (alinéa 3) [...] (une) information. » Cet article est suffisamment général pour que toute personne comme indiqué, Remi Mathis, vous, moi, même les simples lecteurs, tombent sous le coup de cet article. Si Remi Mathis ne connaissait pas le caractère classifié de certaines informations de cet article relatif à la chaîne de transmission d'ordre de mise à feu nucléaire, il ne pouvait plus en ignorer après le signalement de la DCRI lors de sa convocation. Il tombait alors bien sous le coup de l'article 413-11 du Code pénal s'il n'agissait pas suivant ses moyens pour supprimer les informations classifiées. Comme il avait les moyens d'agir en sa qualité d'administrateur et la possession des outils techniques le permettant, refuser d'agir était se mettre en contradiction avec la loi d'où la « mise en garde contre le risque d'engagement de poursuites judiciaires » avec pour conséquence la possibilité d’être placé sur le champ en garde à vue et mis en examen.

Remi Mathis ne pouvais faire autrement que de répondre à la demande de la DCRI et supprimer l'article, sauf à se placer dans l'illégalité avec toutes les conséquences qui en découlent. Qui peut lui reprocher ? Personne, même les opposants à la Wikimédia France et à Remi Mathis, sauf à se discréditer.

Pierre-sur-Haute, commune de Job, département du Puy-de-Dome - © IGN-France 2013
Cette façon de procéder utilisée par la DCRI est inacceptable et inconséquente :
  • inconséquente car elle avait d'autres façons de procéder plus discrète, plus dans les cordes de Barbouzes. Elle aurait pu tenter discrètement, elle-même, la suppression des informations sensibles au milieu d'une refonte plus ou moins profonde de l'article en mélangeant cette suppression à un apport d'autres informations neutres ; je serais fort étonné que la DCRI, ou d'autres services officiels chargés de surveiller les utilisations d'Internet, ne possède pas déjà un compte sur Wikipédia. Elle aurait ainsi pu faire discrètement ce qu'en définitive d'autres contributeurs ont fait ;
  • inacceptable car, après le refus de la WMF, convoquer un administrateur en le menaçant de l'article 413-11 n'est rien d'autre qu'une prise d'otage peu glorieuse. Et que l'on ne me dise pas, comme certain l'on écrit, la DCRI ne comprend rien à Wikipédia, à son fonctionnement, non, elle à bien su trouver l'hébergeur, et devant le refus de celui-ci et la difficulté d'une action à l'étranger, elle a bien su trouver un administrateur, seul capable de supprimer un article, et elle a bien su trouver un administrateur qui de plus est président de l'association française de soutien à Wikipédia. Elle n'a pas mis en demeure Wikimédia France, elle savait bien que l'association n'avait pas le pouvoir de satisfaire sa demande, elle a agit très intelligemment (enfin pensait-elle) en prenant en otage son président, par ailleurs aussi administrateur. Cette façon de procéder s'apparente à un chantage peu glorieux, « faite ce que l'on vous demande sinon ... »
 Oui mais voilà, la DCRI ne pouvait pas savoir que Kirtap profiterait de la situation pour lyncher en public, une fois de plus, son meilleur copain. La DCRI ne pouvait pas savoir que la communauté wikipédienne, si prompte à s'entre-déchirer en bafouant ses propres règles, ferait bloc devant l'imposition de règles extérieures, fussent la loi. La DCRI ne pouvait pas savoir, qu'une administratrice étrangère la défierait en rétablissant l'article supprimé. La DCRI ne pouvait pas savoir, qu'avec ses gros sabots, l'effet Streisand - mise en lumière de ce que l'on cherche à cacher - la guettait au détours de ce qui est toujours considéré sur Internet comme une censure. Pour avoir voulu être plus efficace que discrète, la DCRI a raté son coup, elle a peut être obtenu la suppression des informations classifiées mais à quel prix ? Quand un État, ou ses représentants, détourne les règles du droit qu'il édicte pour normalement protéger ses citoyens et les utilise à son seul profit contre ses mêmes citoyens, ceux-ci ne sont plus dans la République des droits de l'Homme mais dans une vulgaire république bananière. Ce n'est pas Wikipédia qui a été lésée, ce n'est pas sa communauté virtuelle qui a été bafouée, c'est nous tous, citoyens français qui avons été instrumentalisés, au travers de l'un d'eux, Remi Mathis.

Si la DCRI a très certainement obtenu en partie satisfaction, la/les informations sensibles ont dû faire les frais des différentes modifications des uns et des autres contributeurs qui ont restructuré l'article, il lui reste à espérer que des lecteurs curieux n'aillent pas consulter l'historique. Je pense à ces lecteurs intéressés qui comparent, ont comparé ou vont comparer, l'article première version avec le reportage de TL7 pour y chercher la/les informations qui figurent/figuraient dans l'article et pas dans le reportage, ces fameuses informations ayant trait à « l'organisation de la composante nucléaire de la défense nationale »dixit la place Beauveau, les ont déjà trouvées.

Une dernière remarque, les  PF - principes fondateurs - et les règles de Wikipédia, entre autre la nécessité de sourçage et l'interdiction du TI - travail inédit - auxquels certains se raccrochent comme à une bouée, s'ils sont importants pour Wikipédia, elles ne peuvent d'aucune façon être au-dessus des lois qui régissent les hébergeurs, les contributeurs et même les simples utilisateurs-lecteurs qui participent tous à l'économie numérique. Si l'on veut que demain, cette lamentable histoire ne se reproduise, il ne faut et ne suffit pas que des contributeurs en même temps sociétaires à Wikimédia France demandent à ne plus être administrateurs, il faut et il suffit que nous respections les lois comme nous le demandons des autres, comme nous le faisons sans état d'âme pour lutter contre les copyvios - non respect du droit d'auteur - dans les articles de Wikipédia ou les illustrations hors domaine public dans Wikimedia Commons.

Tout compte fait, une institution anarchique comme Wikipédia fonctionne mieux qu'une institution républicaine comme la DCRI. Ainsi va bien Wikipédia.

Que Remi Mathis trouve dans ce message l'expression de mon soutien.